L'évolution de l'intelligence artificielle (IA) remodèle le paysage de l'innovation technologique, introduisant de nouveaux défis également dans le domaine de la protection des brevets. Dans ce contexte, il est essentiel de comprendre les conditions d'une protection efficace des inventions fondées sur l'IA, tant en termes d'exigences juridiques qu'à la lumière du cadre réglementaire émergent, tel que la législation européenne sur l'intelligence artificielle (EU AI Act).
Pour être brevetable, une invention doit répondre à la fois aux conditions d'éligibilité et de brevetabilité. L'admissibilité à un brevet exclut, par définition, les objets considérés comme une activité mentale ou abstraite (par exemple, les méthodes mathématiques, les théories scientifiques, les méthodes commerciales, les jeux). La brevetabilité, en revanche, exige à la fois une nouveauté absolue et une activité inventive, par rapport à l'état de la technique.
Dans le cas de l'intelligence artificielle, le défi se situe à la frontière entre ce qui n'est qu'abstrait (par exemple, un algorithme mathématique) et ce qui présente un caractère technique, à savoir un enseignement concret visant à résoudre un problème technique par des moyens techniques.
Pour être brevetable, une invention doit posséder un caractère technique, c'est-à-dire qu'elle doit dispenser un enseignement technique. Il s'agit d'une instruction destinée à une personne de l’état de la technique sur la façon de résoudre un problème technique particulier (par opposition à un problème purement financier, commercial, mathématique ou abstrait) à l'aide de moyens techniques spécifiques.
Cependant, le terme « technique » n'est « pas définissable » (comme précisé dans la décision G 3/08 de l'Office européen des brevets, OEB, qui est également couramment suivie dans les pays de l'UE).
Parmi les exemples d'applications techniques brevetables, citons les systèmes qui contrôlent les appareils à rayons X, optimisent la répartition de la charge dans un réseau informatique, réduisent le bruit d'image, compressent les données multimédias ou mettent en œuvre des techniques cryptographiques.
Lors de l'évaluation de l'éligibilité des méthodes liées à l'IA, les mêmes critères que ceux applicables aux inventions mises en œuvre par ordinateur s'appliquent (cf. Directives de l'OEB, G-II 3.3). Plus précisément, lorsqu'il s'agit d'évaluer si une méthode mathématique contribue au caractère technique d'une invention, il faut déterminer si, dans le contexte de l'invention, la méthode produit un effet technique qui répond à un objectif technique.
En général, un logiciel peut être considéré comme éligible à la protection par brevet s'il :
L'IA est donc éligible à la protection par brevet non pas en tant qu'algorithme, mais lorsqu'elle est appliquée dans un contexte technique, tel que :
Cependant, le simple fait d'exécuter une méthode d'IA sur un ordinateur n'est pas suffisant pour être brevetable. Bien qu'un ordinateur générique puisse rendre la méthode d'IA éligible en Europe, il est peu probable que cela réponde aux critères de nouveauté et d'activité inventive, car l'ordinateur en tant que tel est considéré comme faisant partie de l'état de la technique.
La brevetabilité n' est donc présente que lorsque les caractéristiques techniques qui confèrent l'éligibilité distinguent également l'invention de l'état de la technique (c'est-à-dire de toutes les connaissances accessibles au public avant la date de dépôt de la demande de brevet liée à l'IA).
Ces caractéristiques distinctives doivent non seulement être nouvelles, mais aussi constituer un avancement non évident par rapport à l'art antérieur : un développement qui n'aurait pas été facilement trouvé par une personne de l’état de la technique sur la base des connaissances existantes.
Il est utile à cette fin d'illustrer un exemple concret d'invention d'IA pour laquelle un brevet a été délivré par l'OEB.
Il s'agit du brevet EP3989126 B1, qui concerne un réseau de neurones convolutifs (Deep Learning) pour l'identification et la quantification automatiques des radio-isotopes dans les spectres gamma. Cette technologie a d'importantes applications en imagerie médicale et en radiothérapie.
Ce cas montre comment une définition détaillée de :
peut constituer une base solide pour la protection par brevet. Dans ce cas, la délivrance a été basée sur la structure clairement définie du réseau neuronal, illustrée schématiquement par une figure de brevet comme suit :
Dans ce cas, en appliquant les concepts illustrés ci-dessus, nous avons :
Étant donné que l'invention portait sur un problème technique du monde réel – l'identification de radio-isotopes dans le rayonnement (c'est-à-dire qu'elle n'était pas abstraite) – et qu'aucune antérioriété citée lors de l'examen ne divulguait (nouveauté) ou ne suggérait (activité inventive) les caractéristiques revendiquées, le brevet a été accordé.
Voici d'autres exemples d'inventions d'IA admissibles et brevetables :
La nouvelle législation européenne sur l'IA introduit une approche réglementaire fondée sur les risques, en classant les applications d'IA en quatre niveaux de risque :
A ce jour, l'OEB n'a pas pris position sur ces questions. Pour les titulaires de brevets et les entreprises innovantes, il est donc conseillé de :
La protection par brevet de l'IA suit les mêmes principes juridiques que ceux appliqués aux inventions logicielles, avec l'ajout de détails spécifiques à l'IA (couches d'architecture, entrées/sorties, méthodes d’entraînement et métriques de performance).
L'IA n'est brevetable que lorsqu'elle se rapporte à une application ou à un objectif technique, qu'il s'agisse d' un matériel ou d'un logiciel, et non à l'algorithme sous-jacent pris isolément.
Compte tenu du cadre actuel de l'OEB et de la nouvelle loi de l'UE sur l'IA, il est crucial pour les entreprises et les professionnels du secteur de l'IA de procéder à une analyse approfondie de leurs inventions, tant du point de vue de la brevetabilité que de la conformité , afin de garantir l'éligibilité et l'alignement juridique du produit qui en résulte.
Traduction de David Devic