22 février 2024 Brevets David Devic

La mise sur le marché d'un produit sur un territoire donné constitue toujours un risque de contrefaçon à l’encontre d'un ou plusieurs brevets opposables par des tiers. Pour réduire ce risque, il est important de procéder à une analyse de la liberté d'exploitation, dans laquelle un conseil en brevets vérifie si un certain produit ou procédé est exempt de risque de contrefaçon de brevet. Dans cet article, nous allons découvrir comment et pourquoi les analyses de la liberté d'exploitation deviennent encore plus importantes compte tenu des récents développements du droit des brevets.

Le Brevet Unitaire et la Juridiction Unifiée des Brevets

La principale innovation en matière de droit des brevets dans le monde du brevet européen au cours du dernier demi-siècle est maintenant devenue une réalité : le 1er juin 2023, l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (AJUB) est entré en vigueur, accompagné du Règlement de l'Union européenne instituant le brevet unitaire (BU). Bien que certains grands pays européens, tels que le Royaume-Uni, l'Espagne et la Pologne, ne fassent pas partie de ces accords, le brevet unitaire (ou plutôt le brevet européen à effet unitaire) et la nouvelle JUB concernent 17 pays : Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suède. Dans les années à venir, 7 autres pays membres de l'UE, qui ont déjà signé l'accord mais ne l'ont pas encore ratifié, pourraient être en mesure de rejoindre le nouveau système. La prochaine à adhérer pourrait être la Roumanie : en effet, le 16 novembre 2023, le gouvernement roumain a approuvé le projet de loi de ratification.

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Figure 1: à gauche : en rouge les pays contractants pour le brevet européen, en bleu foncé et gris les pays d'extension ou de validation : lorsqu'une demande de brevet européen est délivrée, le brevet doit être validé dans chaque pays souhaité, un par un. A droite : en bleu les pays couverts en vrac d'un Brevet Unitaire.

*Source des images: European Patent Office 

En un mot, grâce au Brevet Unitaire, ceux qui obtiennent la délivrance d'une demande de brevet européen peuvent désormais choisir – comme alternative à la validation « classique » toujours possible pays par pays – de valider le brevet de manière unitaire pour les 17 pays indiqués ci-dessus, avec des économies évidentes en termes de coûts. Pour les autres pays couverts par le brevet européen mais pas par le brevet unitaire, il sera toujours possible d’effectuer la procédure de validation habituelle, pouvant l'accompagner également d'une validation unitaire.

Au 31 décembre 2023, environ 1 brevet européen sur 6 délivré depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle législation a été validé en tant que brevet unitaire.

Sur les brevets européens restants, qui sont normalement soumis à la compétence de la juridiction unifiée du brevet en l'absence de renonciation de la part des titulaires, environ 45 % ont fait l'objet d'une renonciation (« opt-out ») tandis que 55 % restent sous cette juridiction.

Compétence de la JUB

En effet, la juridiction unifiée du brevet sera compétente non seulement pour les brevets unitaires, mais également pour les brevets européens pour lesquels une déclaration de renonciation expresse n'a pas été déposée – c’est-à-dire pour lesquels le titulaire n'a pas activement demandé l'exclusion de la compétence – ainsi que pour les certificats complémentaires de protection, dans les affaires concernant :

  • contrefaçon réelle ou potentielle ;
  • injonctions et mesures conservatoires et provisoires ;
  • les constatations de non-contrefaçon ;
  • nullité et demandes reconventionnelles en nullité ;
  • dommages-intérêts ou réparation découlant de la protection provisoire conférée par une demande de brevet européen publiée; et
  • l'utilisation d'une invention avant la délivrance d'un brevet européen ou au droit fondé sur une utilisation antérieure de l'invention.

Les affaires relatives à la validité ou à la contrefaçon de brevets européens validés de manière conventionnelle, pour lesquels une déclaration de renonciation a été déposée, seront plutôt jugées par les tribunaux nationaux. La possibilité d'une renonciation n'est prévue que pour les 7 premières années de fonctionnement de la Cour, dans un régime transitoire, éventuellement renouvelable par le Conseil d’Administration de la Juridiction.

Liberté d'exploitation – nouveaux risques et nouvelles opportunités

Les innovations apportées par le Brevet Unitaire et la Juridiction Unifiée du Brevet permettent des économies substantielles et de nouvelles opportunités, mais constituent également des éléments insidieux dans la gestion des risques, tant pour ceux qui possèdent des actifs pour la protection des inventions que pour ceux qui fournissent des produits et services en Europe.

Compte tenu de l'extension territoriale du nouveau système de brevets, encore plus qu'auparavant, les analyses de liberté d'exploitation (« Freedom-To-Operate » FTO, en anglais), dans lesquelles un conseil en brevets évalue si un certain produit ou procédé est exempt d’atteinte à un brevet dans certaines juridictions, deviennent cruciales et indispensables afin de réduire les risques commerciaux et de litige.

En effet, les brevets européens qui couvrent également certains territoires nationaux augmenteront. C’est-à dire que certains des brevets européens délivrés et validés de manière unitaire n'auraient pas été forcément validés sur certains territoires nationaux sous le régime conventionnel, qui tend généralement à valider un brevet européen délivré uniquement dans quelques pays importants, tels que l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie. Cela est particulièrement vrai pour les « petits » pays couverts par le brevet unitaire dans lesquels les validations de brevets européens étaient généralement peu fréquentes, comme les trois pays baltes, la Bulgarie, le Portugal et Malte : ceux qui opèrent dans ces pays doivent donc s'inquiéter de la gestion d'un risque qui jusqu'à présent aurait pu être négligeable.

Avec une analyse de liberté d'exploitation, il est, entre autres, possible d'identifier à l'avance les demandes de brevet européen qui seront vraisemblablement accordées, ou qui ont été accordées depuis moins de 9 mois, et qui sont pertinentes pour son entreprise, puis de procéder, lorsqu'il y existe des motifs appropriés, à une procédure d'opposition. En effet, il reste possible – même dans le cas d'un brevet européen à effet unitaire – d'engager une procédure d'opposition devant l'Office européen des brevets (OEB) dans un délai de 9 mois à compter de la date de publication de la mention de la délivrance d'un brevet européen.

Temps serré et rapidité de jugement

Le règlement de la nouvelle juridiction unifiée du brevet, par ailleurs, établit des limites temporelles très strictes pour les parties, à la fois pour présenter leurs propres observations et pour répondre à celles de la partie adverse. Oubliez les « longs » délais de certains tribunaux nationaux : une procédure devant la nouvelle Juridiction ne peut durer qu’un an ! Cela rend encore plus avantageux d'avoir mené une analyse de liberté d'exploitation à l'avance : en fait, avec des délais aussi stricts, les recherches et analyses nécessaires ne peuvent pas être entièrement renvoyées à la phase procédurale devant la Juridiction.

Enfin, le nouveau régime importe également dans plusieurs pays un nouvel moyen inédit : les « lettres de protection » : ceux qui craignent qu'un certain brevet ne soit invoqué référé contre leurs produits, sans être écouté, pourront déposer à l'avance des faits et des arguments pour leur défense, en ne payant qu'une redevance de 200 € . Encore une autre bonne raison de procéder à une analyse de liberté d'exploitation en temps utile. 

Autres avantages des analyses de liberté d'exploitation

En plus de l'évaluation de la simple défense d’un produit par rapport à une série de brevets européens en vigueur, une analyse de la liberté d'exploitation est en mesure de mettre en évidence les caractéristiques spécifiques du produit qui relèvent des revendications de ces brevets européens, ouvrant la voie à ce processus que l'on appelle dans le jargon le « design-around », c'est-à-dire un processus dans lequel, en collaboration avec le conseil en brevets, on essaie de trouver des alternatives qui ne portent pas atteinte à ces revendications, afin de passer d'une situation de conflit à une situation dans laquelle le produit peut être librement produit et vendu sur le marché.

Enfin et surtout, une opinion de liberté d'exploitation qui comprend également une recherche de brevets potentiellement gênants permet de connaître plus en détail les activités de recherche et de développement des concurrents, avec leurs forces et leurs faiblesses. Ceci, à son tour, peut orienter davantage le développement de produits et/ou orienter les choix de stratégie de marché.

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